Acte 3 de la décentralisation: une réforme mitigée dans sa mise en œuvre ? (Par Omar Diarra CISSE) – Part 1

Introduction

• Les éléments révélateurs d’une politique mitigée de décentralisation 

•     Un cadre institutionnel incohérent
•     Le caractère controversé du cadre normatif
•     Le cadre financier, un domaine à problème
•     Une remise en question de la transparence dans la gouvernance locale

• Vers une nécessaire politique plus aboutie de la décentralisation

•     Un renforcement urgent du cadre normatif de la décentralisation sénégalaise
•     Une nécessaire augmentation des fonds de concours
•     Une réelle promotion de la qualité des ressources humaines : la redéfinition du statut de l’élu local

Par Omar Diarra CISSE

Juriste, spécialiste en droit des collectivités territoriales

Introduction

« Moment fort de la réforme de l’Etat, la décentralisation a pour objectif principal l’impulsion d’un développement économique endogène et ascendant, reposant sur un partenariat entre les collectivités locales et l’Etat dans le cadre de la prise en charge de leurs compétences respectives ». S’analysant comme une technique d’aménagement du pouvoir central, la décentralisation n’est ainsi pas un phénomène nouveau au Sénégal. Elle a toujours et depuis longtemps préoccupé les pouvoirs publics. En effet, « Le Sénégal depuis son accession à la souveraineté internationale a opté pour une politique de décentralisation  prudente, progressive et irréversible».Cette option a été confirmée au cours des différentes phases qui ont marqué la politique de décentralisation sénégalaise dont il serait plus judicieux de faire un bref rappel. En effet, la politique de décentralisation au Sénégal a été marquée avant l´Indépendance par la création des communes de Saint‐Louis et de Gorée en 1872. Puis en 1880, il a été consacré la création de la commune de Rufisque et en 1887 par celle de la commune de Dakar.

L´expérience de la décentralisation administrative et territoriale se poursuit en 1955 avec l’adoption de la loi municipale qui élargit la communalisation avec la mise sur pied des communes de statut juridique différent. Devenu indépendant en 1960, le Sénégal a opté pour un régime municipal à deux statuts avec l´élargissement du statut de commune de plein exercice à l’ensemble des communes. En 1964 dans le souci de confirmer l’évolution de l’approfondissement de la politique de décentralisation , une nouvelle loi intègre le dispositif normatif de la décentralisation avec la loi Nº 64‐02 du 19 Janvier 1964 qui institue pour la première fois un régime municipal dérogeant au droit commun avec notamment la région de Dakar qui bénéficie d’un statut spécial. L´année 1966 correspond à la promulgation de la loi Nº 66‐64 du 30 Juin 1966 portant Code de l’Administration Communale.

À partir de 1972, la loi nº 72‐25 du 19 Avril 1972 devait de façon décisive assouplir le système de la décentralisation avec notamment l’organisation administrative qui connaît un tournant important au Sénégal marquée essentiellement par l’amorce de la décentralisation en milieu rural par la création des communautés rurales. L´année 1983 peut être considérée comme celle de l’achèvement des grandes réformes entreprises en 1972, notamment Dakar qui reprend son statut de droit commun (commune de plein exercice). L´année 1990 coïncide avec la suppression des communes à statut spécial qui deviennent des communes de plein exercice, mais aussi au transfert des pouvoirs d’ordonnateur du budget des sous‐préfets aux présidents de conseils ruraux. En 1996, le Sénégal s’enrichit d’un troisième ordre de collectivité locale avec la création des régions à travers la loi nº 96‐06 du 22 Mars 1996 portant Code des Collectivités Locales en même temps le renforcement de l´autonomie de gestion ainsi que le transfert de neuf domaines de compétence aux trois ordres de collectivités locales que sont la région, la commune et la communauté rurale avec la loi nº 96-07du 22 Mars 1996. L’année 2011 correspond à une réforme approfondie de la fonction publique locale avec l’adoption de la loi nº 2011-08 du 30 mars 2011 relative au statut général des fonctionnaires des collectivités locales au Sénégal mettant ainsi en œuvre la compétence réglementaire des exécutifs locaux. Enfin en 2013, la réforme dite acte 3 de la décentralisation matérialisée par la loi nº 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code Général des Collectivités Locales devait dès lors parachever le processus décentralisateur avec à la clé une nouvelle structuration des collectivités territoriales qui se traduit par l’érection du département en collectivité territoriale avec comme conséquence la suppression de la région en tant collectivité locale, la communalisation universelle par l’érection des communautés rurales et des communes d’arrondissement en communes, de la création de la ville en vue de mutualiser les compétences des communes la constituant et la répartition des neuf domaines de compétence jusqu’ici transférées entre les deux ordres de collectivités locales que sont le département et la commune.

Malgré la mise en place de cette réforme, articulée notamment autour du concept « l’impulsion du développement économique et social de ces entités locales et l’organisation du Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable », après sept ans de mise en œuvre, l’acte 3 de la décentralisation demeure aujourd’hui une réforme lacunaire et mitigée sur plusieurs aspects. De façon plus précise, c’est le caractère mitigé d’une telle politique de décentralisation qui va attirer ici notre attention notamment la remise en question du double cadre institutionnel-normatif engendrés par cette réforme sans oublier le caractère controversé du cadre financier à travers les instruments de financement de la décentralisation à l’instar du fonds de dotation qui demeurent toujours problématiques etc.

Il sera question de voir si la nouvelle réforme dite acte 3 de la décentralisation conduite dans sa première phase par la loi nº2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités locales demeure pertinente ? N’est-elle cependant pas une réforme mitigée dans sa mise en œuvre ? En termes plus précis, quels sont les éléments révélateurs d’une telle politique de décentralisation mitigée ?

A suivre…