Acte 3 de la décentralisation: une réforme mitigée dans sa mise en œuvre ? (Par Omar Diarra CISSE) – Part 6

Omar Diarra CISSE

Juriste, spécialiste en droit des collectivités territoriales

• Une remise en question de la transparence dans la gouvernance locale  

La décentralisation au Sénégal qui est au cœur  des  réformes de l’Etat se présente dès lors comme un phénomène qui ne se limite pas seulement à l’organisation administrative et financière des institutions et des collectivités territoriales, elle nécessite également une forte association du citoyen dans le processus décentralisateur en vue d’une meilleure application de la gouvernance locale. En d’autres termes, elle constitue aujourd’hui une approche qui privilégie la participation des citoyens à l’élaboration des politiques de développement dans des domaines bien déterminés.C’est dans cette même dynamique que le législateur de 2013 avait entendu impliquer le citoyen dans la gestion des affaires locales en procédant à l’élévation de la participation citoyenne au rang de principe au même titre que la libre administration des collectivités territoriales.

D´ailleurs, il y a lieu de rappeler que ce principe avait fait  l’objet d’une consécration constitutionnelle à travers la Constitution sénégalaise adoptée en janvier 2001 qui met  clairement en évidence cette mission de participation citoyenne à travers son article 102.  Ainsi, dans le but de promouvoir la transparence dans la gestion des affaires locales, l’article 6 du CGCL dispose que « toute personne physique ou morale peut faire, au président du conseil départemental et au maire, toutes propositions relatives à l’impulsion du développement économique et social de la collectivité locale concernée et à l’amélioration du fonctionnement des institutions ». Mieux, l’alinéa 2 du même article nous dit que « tout habitant ou contribuable a le droit de demander, à ses frais, communication, de prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du conseil départemental ou du conseil municipal, des budgets et des comptes, ainsi que des arrêtés pris par l’autorité locale ».

C’est dire qu’aujourd’hui que le citoyen local dispose désormais d’une double mission de formuler des propositions aux autorités locales dans le cadre de la gestion des affaires locales et du droit d’accès aux procès-verbaux, aux budgets et aux comptes ainsi que des arrêtés pris par l’exécutif local concernant sa localité. Cependant, grande fut la déception de constater que cette mission de participation citoyenne est remise en cause dans la pratique car il y a lieu d’apercevoir que bon nombres de collectivités décentralisées ne tiennent guère en considération la rigueur textuelle des dispositions de l’article 6 du CGCL précité. Ce droit a été renforcé par la loi 2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs. A cet effet, l’article 21 de ladite loi précise que les documents administratifs sont constitués par l’ensemble des documents produits ou reçus, dans l’exercice de leurs activités par les autorités administratives à savoir l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les sociétés nationales, les sociétés à participation publique majoritaire et les organismes privés chargés de la gestion d’un service public ou investis d’une mission de service public. Ainsi cette possibilité détenue par le citoyen local de contrôler l’action du pouvoir exécutif local ainsi que les délibérations du conseil municipal est devenue chose impossible par l’accès difficile des documents administratifs et financiers.

A pareil contexte sanitaire, notamment lorsqu’il était question de la décentralisation à l’épreuve de la COVID-19, le principe sacrosaint de la transparence dans la gouvernance locale était de loin mis en œuvre. En effet, l’on s’est rendu compte que le citoyen était de loin associé dans le processus d’assistance du gouvernement sénégalais en collaboration avec les collectivités territoriales aux couches sociales touchées par cette pandémie. Ce qui peut constituer à bien des égards une remise en cause de la transparence. Plus troublant encore, le droit à l’information prévu par la réglementation locale et renforcé par les dispositions de l’article 6 du CGCL précité est de plus en plus remis en question par la non publication des arrêtés pris par les exécutifs locaux, le maire en particulier, sur des matières qui nécessitent une certaine clairvoyance voire la transparence de la gouvernance locale. C’est pourquoi beaucoup de pays, soucieux de l’importance qu’occupe le citoyen dans le processus décentralisateur, à l’instar de la France, sont allés un peu plus loin en mettant en place la commission d´accès aux documents administratifs (CADA) pour assurer la bonne application du droit d´accès. Le caractère mitigé de la réforme de l’acte 3 de la décentralisation introduite en 2013 est sous-tendu par plusieurs éléments. Il y a, dès lors, une nécessité urgente d’aller vers une réforme plus aboutie de la politique de décentralisation.

A suivre…