Acte 3 de la décentralisation: une réforme mitigée dans sa mise en œuvre ? (Par Omar Diarra CISSE) – Part 7

Omar Diarra CISSE

Juriste, spécialiste en droit des collectivités territoriales

• Vers une nécessaire politique plus aboutie de la décentralisation

Dans le but d’approfondir la politique de décentralisation sénégalaise, les autorités avaient lancé en 2013 une réforme baptisée acte 3 de la décentralisation, une nouvelle loi qui venait ainsi intégrer  le dispositif  normatif de  la décentralisation sénégalaise. Cependant, en plus d’être considérée comme réforme purement institutionnelle car procédant à bien des égards à la réorganisation de l’administration territoriale, la réforme de 2013 n’a pas apporté de véritables solutions allant dans le sens de régler, de façon définitive, les réelles questions de développement local auxquelles sont confrontées actuellement les collectivités territoriales. Donc, le CGCL tel qu’il a été élaboré n´est pas pertinent. C’est pourquoi, la promotion d’une politique plus aboutie de décentralisation s’avère dès lors nécessaire. Et cette politique de décentralisation passe inéluctablement d’abord par un renforcement urgent du cadre normatif de la décentralisation sénégalaise (A), ensuite par une augmentation des fonds de concours alloués par l’Etat aux collectivités décentralisées (B) ,et enfin par une réelle promotion de la qualité des ressources humaines matérialisée par une redéfinition du statut de l’élu local (C).

• Un renforcement urgent du cadre normatif de la décentralisation sénégalaise 

Un allégement du contrôle, de tutelle en particulier, exercé sur les collectivités territoriales et la prise en compte de la spécificité locale dans le cadre du transfert des compétences  demeurent des éléments incontournables de renforcement du cadre normatif de la décentralisation sénégalaise. D’abord du point de vue du contrôle exercé sur les collectivités territoriales, il y a lieu de dire naturellement que toute politique de décentralisation s’accompagne nécessairement d’une politique de déconcentration. En d’autres termes, l’Etat dispose d’un droit de regard sur les actes des collectivités décentralisées par l’exercice d’un contrôle a priori lourd du représentant de l’Etat.  Ce dernier détient à la fois un pouvoir d’approbation préalable sur les actes des collectivités territoriales notamment en matière économique et financier, un pouvoir de suspension et un pouvoir de substitution. A ce niveau, nous nous accorderons avec le professeur Ibrahima Diallo qui, dans son ouvrage intitulé « le droit des collectivités locales  », estime que « le contrôle a priori s’exerce concrètement sur un champ d’application très large et il s’exerce par nature de manière rigoureuse ».

En effet, le pouvoir d’approbation et le pouvoir de suspension conférés au représentant de l´Etat occasionne un blocage dans le respect d´une procédure pouvant être longue au regard des délais impartis. C´est dire que les prérogatives ainsi conférées au représentant de l´Etat sont très étendues. Fort de ce constat, nous estimons que le contrôle exercé par le représentant de l´Etat doit être allégé. En ce qui concerne le pouvoir de substitution dont bénéficie le représentant de l’Etat, la loi prévoit que « si le budget n´est pas adopté au 31 mars de l’exercice auquel il s’applique, le représentant de l´Etat règle le budget et le rend exécutoire dans les 15 jours qui suivent cette date ». A ce niveau, pourquoi ne pas instituer une juridiction spéciale qui se chargerait de trancher en la matière en cas de contentieux entre l’exécutif local et le représentant de l´Etat. Par voie de conséquence, en lieu et place d’un pouvoir de substitution, il serait plus judicieux d’opérer par saisine du juge.

En somme, l’allégement du contrôle a priori est dès lors nécessaire en vue de promouvoir le renforcement du cadre normatif de la décentralisation mais aussi et surtout l’autonomie administrative et financière des collectivités décentralisées.

 D’un autre côté, la prise en compte de la spécificité locale dans le cadre du transfert des compétences participe également au renforcement du cadre normatif de la décentralisation sénégalaise. En effet, pour le professeur Abdoulaye Dieye, l’option du législateur sénégalais a été de transférer les mêmes domaines de compétences à l’ensemble des collectivités territoriales, compte non tenu de la catégorie. C´est dire que, dans le cadre du renforcement du cadre normatif des collectivités décentralisées, les politiques publiques locales devraient aller dans le sens de la prise en compte de la spécificité locale en matière de transfert des compétences. En d’autres termes, il s’agit d’améliorer le processus du transfert et de la mise en œuvre des compétences en fonction des besoins réels de la collectivité concernée. Pour ce faire, il est question de connaître les atouts et les potentialités de chaque collectivité territoriale en vue de les exploiter de façon efficiente. Ainsi, la prise en compte de la situation spécifique et de la dynamique locale s’avèrent indispensables dans le processus de transfert de compétences aux collectivités territoriales.

C’est dire que la prise en considération de ces paramètres devraient permettre ainsi de booster le développement local d’une collectivité. Le transfert de moyens financiers et humains à lui seul ne suffit pas pour l’affirmation effective de la politique de décentralisation. Une politique efficace de la politique de décentralisation passe nécessairement par la prise en considération de la spécificité locale en question. C´est dire qu´au Sénégal, chaque collectivité territoriale renferme ses propres réalités. De ce fait, les besoins et les préoccupations diffèrent en fonction de la localité en cause. Il s’agira à cet effet de procéder à l’identification des problèmes cruciaux auxquels sont confrontées les collectivités décentralisées pour ensuite responsabiliser les acteurs locaux au moyen des transferts de compétences. Donc, il est nécessaire que les autorités aillent dans le sens de la production de dispositions au regard des réalités et spécificités socio-économiques des collectivités territoriales. Par exemple, si certaines localités se heurtent à des problèmes d´accès à l´eau ou à l´éclairage public, d’autres, par contre, souffrent de l´état dégradé des routes. Par voie de conséquence, la prise en compte de la spécificité locale dans le processus de transfert de compétences semble nécessaire. Un autre élément, tout aussi important, entre également dans le cadre de la promotion d’une politique plus aboutie de la décentralisation sénégalaise et qui est relatif à l’augmentation des fonds de concours alloués par l’Etat aux dites entités.

A suivre…