Acte 3 de la décentralisation: une réforme mitigée dans sa mise en œuvre ? – Part 8 et Fin

Par Omar Diarra CISSE

Juriste, spécialiste en droit des collectivités territoriales

• Une nécessaire augmentation des fonds de concours

Toute politique de décentralisation financière est vouée à l’échec si et seulement si cette dernière est exempte de fonds de concours assez conséquents. En d’autres termes, l’Etat doit procéder à l’octroi suffisant de fonds de concours aux collectivités décentralisées pour une meilleure compensation des compétences transférées. Pour ce faire, il est nécessaire d´augmenter le FDD et le FECL. C’est dire qu’aujourd’hui toute décentralisation administrative ou institutionnelle doit nécessairement être accompagnée d’un transfert de moyens financiers conséquents au profit des collectivités territoriales. Ceci est rendu nécessaire par le principe de la concomitance affirmé par l´article 4 du CGCL et le principe de la compensation des charges transférées tel que dégagé par l´article 320 du même code. En effet, ce même article 320 du CGCL stipule que les charges financières résultant pour chaque département ou commune des transferts de compétences définies par le présent code font l’objet d’une attribution par l’Etat de ressources d’un montant au moins équivalent aux dites charges.

Cependant, tel n´est pas le cas dans la mise œuvre de la réforme de 2013 puisque dans le système de la décentralisation sénégalaise, il est constaté une inadéquation notoire des ressources financières par rapport aux compétences transférées. Ce qui veut dire que dans la pratique, le principe de la compensation des charges transférées tel que prévu par le législateur de 2013 nous paraît déficient et de loin le plus appliqué. De plus, des études menées par des chercheurs ont révélé que le principe de la compensation financière n’est respecté que dans cinq des neuf domaines de compétences transférées. Autrement-dit, les fonds alloués aux collectivités territoriales pour compenser les compétences transférées ne concernent que quelques secteurs (l’ éducation, la jeunesse, le sport, les loisirs, la santé et la culture). Ainsi donc, comment avoir une décentralisation effective et efficace si l’Etat entend transférer une partie de ses compétences aux collectivités territoriales sans toutes véritables mesures d´accompagnement pour celles-ci ? C’est dire que l’appui financier de l’Etat alloué aux entités locales est incontournable dans le processus de la décentralisation financière sénégalaise.

De plus, il y a lieu de constater que la part allouée (3,5%) aux collectivités territoriales dans le produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) demeure très faible. Une augmentation de ce taux à hauteur de 20 à 25% doit être dès lors envisagée selon les conclusions issues du rapport fait lors des assises de la décentralisation en novembre 2007.  C’est pourquoi des pays, comme le Maroc, bien nantis du principe de la compensation financière de par leurs textes, œuvrent dans ce sens. En effet, les subventions de fonctionnement et d’équipement que l´Etat marocain accorde à ses collectivités locales comportent entre autres une part dans le produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d´au moins égale à 30% du produit de cette taxe. De plus, il ressort de l’exposé mené sur la situation financière des collectivités locales en Afrique marocaines particulièrement, depuis 1988, 30% du produit de la TVA sont transférés aux collectivités locales, représentant en moyenne près de la moitié des ressources locales. La France lui emboîte le pas dans la mesure où la dotation allouée aux collectivités territoriales avoisine les 20% du budget de l´Etat. C’est dire que les politiques publiques, locales en particulier, doivent aller dans ce sens.

En somme, les fonds que l´Etat alloue aux collectivités territoriales en vue d’assurer une décentralisation efficace doivent être considérablement rehaussés. Si FDD et FECL s’avèrent décisifs dans le cadre de la promotion d’une politique plus aboutie de la décentralisation, il n’en demeure pas moins qu’une redéfinition du statut de l’élu local dans le processus décentralisateur, est tout aussi importante. 

•     Une réelle promotion de la qualité des ressources humaines : la redéfinition du statut de l’élu local

L´efficacité d´une politique de décentralisation est conditionnée par le fait que les acteurs de ladite politique doivent avoir une capacité d’impulser le développement local à travers des actions pertinentes. C´est dire qu´aujourd´hui, les politiques publiques doivent aller vers une constitutionnalisation forte de la politique de décentralisation en renforçant la capacité des élus locaux. Et cette constitutionnalisation forte de la politique de décentralisation passe nécessairement par une redéfinition du statut de l’élu local. Autrement dit, il serait nécessaire que les autorités aillent vers la garantie constitutionnelle du statut de l’élu local.

A cet effet, il serait pertinent d’utiliser les candidatures indépendantes afin de favoriser les plus compétents et les plus méritants. Ainsi, dans le rapport général des premières assises nationales de la décentralisation au Sénégal qui a été publié en novembre 2007, il a été proposé que les candidats locaux soient élus au suffrage universel direct.

En outre, même si l’on a mentionné dans le CGCL que les élus locaux doivent savoir lire et écrire dans la langue officielle, cela nous paraît insuffisant au regard de l’importance qu’occupe le Maire dans le processus décentralisateur. En effet, les politiques publiques locales, en particulier, doivent faire en sorte que les élus locaux maîtrisent bien les dispositions légales et réglementaires régissant l’organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales afin d’assurer une bonne gestion de leurs compétences. Qu´ils sachent également leurs droits et obligations et soient plus soumis à une obligation de résultats. C´est dire que les élus locaux ont été choisis dans un souci de répondre aux aspirations des populations et avoir cette capacité d’impulser le développement économique et social des collectivités territoriales. Compte tenu de toutes ces considérations, il est nécessaire aujourd’hui de revoir les critères de choix des élus locaux. De ce fait, ces derniers seront en mesure d’identifier les besoins prioritaires des populations.

Enfin, la promotion d’une politique plus aboutie de décentralisation doit être renforcée par une mise en place d’organismes et de nouvelles institutions qui se chargeront de former les élus locaux pour une meilleure efficacité de la politique de décentralisation. C´est pourquoi une correction dont le besoin est mis en évidence par une étude a trait à l’incapacité d’un nombre important d’élus locaux à assumer leur mandat faute de qualification. Pour ce faire, il faudra organiser la formation initiale des acteurs à la base et le renforcement des capacités de tous sur toute la chaîne car le nouveau mode de gouvernance requiert des comportements différents de ceux qui avaient cours par le passé ». Par ailleurs, Rosnert L. Alissoutin dans son article intitulé « les trois lacunes de l’acte 3 de la décentralisation au Sénégal » affirmait que les vraies questions jusque-là insuffisamment traitées sont celles d´un dispositif électoral qui, sans contrarier le suffrage universel, permet d´élire des hommes et des femmes potentiellement compétents et compétentes et doté(e)s d’une envergure intellectuelle qui leur permet d’appréhender convenablement certaines questions techniques (budget, planification) et sensibles (état civil, foncier) etc. 

C´est dire que les élus locaux en tant qu´acteurs principaux dans le processus de la politique décentralisation, doivent parfaitement maîtriser toute la réglementation relative à la décentralisation notamment la procédure administrative, la procédure financière et celle des marchés publics. Les élus locaux doivent en outre avoir la capacité de mobiliser les autres acteurs de la décentralisation dans un souci de coordonner les actions afin de promouvoir la satisfaction de l´intérêt général. Par voie de conséquence, il est important de renforcer et de rendre dynamique la collaboration entre les acteurs locaux.

En somme, la promotion de la qualité des ressources humaines notamment une redéfinition du statut de l’élu local s’avère incontournable pour une mise en œuvre efficace de la politique de décentralisation.