Affaire Gana Guèye, facteur du sentiment anti français en Afrique ? – Par Harouna ASANTE

Le 14 mai 2022, le footballeur sénégalais Idrissa Gueye, milieu de terrain du PSG refusait de porter un maillot coloré aux couleurs de l’arc-en-ciel pour la journée consacrée aux LGBTQI+. C’était lors d’un match contre Montpellier. Il ne souhaitait certainement pas s’afficher avec un maillot contraire à ses convictions religieuses profondes. Il avait alors subi toutes sortes de pressions médiatiques et de tracasseries.

Le mardi 18 mai 2022, le Conseil National de l’Éthique de la Fédération Française de Football adressait un courrier à Gana Guèye en des termes qui frisaient la menace.

« De deux choses l’une, soit ces supputations sont infondées et nous vous invitons sans délai à vous exprimer afin de faire taire ces rumeurs. Nous vous invitons par exemple à accompagner votre message d’une photo de vous portant le maillot en question », écrit ainsi le CNE dans un courrier consulté mercredi par l’AFP. « Soit ces rumeurs sont exactes. Dans ce cas, nous vous demandons de prendre conscience de la portée de votre geste et de la très grave erreur commise. La lutte contre les discriminations dont font l’objet les différentes minorités, quelles qu’elles soient, est un combat indispensable et de tous les instants », ajoute l’instance.

En conclusion, le Comité National de l’Éthique explique que ce présumé refus revient à valider des « comportements discriminatoires, le refus de l’autre, et pas uniquement contre la communauté LGBTQI+ ».

On voit effectivement la volonté de la Fédération Française de Football à imposer à Gana Guèye de soutenir la cause LGBT au risque d’être sanctionné. La question à se poser est le fait de savoir si un joueur est obligé de soutenir une cause contraire à ses convictions. Sur quels critères Gana Guèye est-il ainsi harcelé ?

Contrastant avec les réactions essentiellement hostiles des milieux sportifs et politiques français, les différentes voix qui se sont exprimées au Sénégal ont dans l’ensemble fait bloc autour du joueur du Paris Saint-Germain. À travers cette « affaire » footballistique, on peut se demander si ne se rejoue pas sur le plan idéologique et politique un impérialisme français sur le plan idéologique ou culturel  .

Ayant senti les pressions qui pesaient sur son jeune compatriote, Macky Sall réagissait le 17 mai 2022 sur son compte Twitter en ces termes : ‘’Je soutiens Idrissa Gana Gueye. Ses convictions religieuses doivent être respectées.’’ Il soutenait ainsi le footballeur face aux harcèlements. Il faut souligner qu’une telle réaction d’un président sénégalais est une première dans les relations internationales. Le fait que Macky Sall en personne prenne sur lui la responsabilité montre les pressions que le jeune joueur a dû subir.

La Fédération Sénégalaise de Football n’est pas également restée insensible. Outrée et indignée, elle publiait un communiqué le 19 Mai 2022, au lendemain de l’interpellation du jeune joueur par le CNE de la Fédération Française de Football .

Elle soulevait d’abord certaines observations : «De deux choses l’une, soit ces supputations sont infondées et nous vous invitons sans délai à vous exprimer afin de faire taire ces rumeurs. (…)  Soit ces rumeurs sont exactes. Dans ce cas, nous vous demandons de prendre conscience de la portée de votre geste et de la très grave erreur commise.»

« C’est avec une grande surprise (et une grande inquiétude sur le traitement de certains joueurs essentiellement d’origine africaine, disons-le clairement) que la Fédération Sénégalaise de Football a pris connaissance de la lettre du 17 mai 2022 portant en-tête de la FFF et censée venir de son Conseil National de l’Ethique, débute le courrier. S’il est difficile de trouver les bases légales, statutaires ou réglementaires d’une telle démarche dans les textes du football ou du sport en général, sa finalité est par contre claire : contraindre le joueur à faire ce que son libre arbitre ne l’incline à faire. Est-on vraiment dans cette France que l’on nous avait contée et racontée dans nos écoles, celle qui a comme devise la liberté, la fraternité et de l’égalité pour tous ? »

La FSF s’est ainsi interrogée : «Il est un principe élémentaire en droit qui dit que nul ne peut être tenu à apporter la preuve d’un fait négatif. Pourquoi ledit Conseil national d’éthique n’a-t-il pas commencé par demander aux médias français qui ont porté l’accusation d’apporter la preuve de leurs allégations ?»

Elle attirait également l’attention de la FFF sur le danger lié à cette interpellation qui n’est basée sur aucune règle : «La suite est sans commentaire car elle traduit en elle-même toute la dimension des préjugés de l’auteur de cette lettre éthique : ‘Nous devons tous nous sentir concernés par toutes les discriminations et pas seulement celles qui nous touchent personnellement.’ Manifestement et inconsciemment, au moment d’écrire sa lettre, le sieur Patrick Anton n’a pas pu s’empêcher de mettre en lien la situation qu’il décrit ou déplore avec la couleur (ou la religion) de Mr Idrissa Gana Gueye. Ce faisant, s’est-il rendu compte qu’il est en train de stigmatiser le dit joueur en le classant d’emblée et sans son avis dans la catégorie des personnes discriminées ? Ainsi se présente toute la problématique des libertés de nos jours, elles ne sont plus universelles : il y a celles que l’on promeut voire impose, même au forceps s’il le faut, d’autres pour lesquels on détourne la tête et qui ne bénéficieront jamais d’une journée de championnat dédiée malheureusement.»

La FSF interpelle le CNE de la FFF en ces termes : «S’est-il rendu compte qu’il est en train de stigmatiser le dit joueur en le classant d’emblée et sans son avis dans la catégorie des personnes discriminées ? Ainsi se présente toute la problématique des libertés de nos jours, elles ne sont plus universelles : il y a celles que l’on promeut voire impose, même au forceps s’il le faut, d’autres pour lesquels on détourne la tête et qui ne bénéficieront jamais d’une journée de championnat dédiée malheureusement (…) De deux choses l’une : soit ces supputations sont infondées et nous vous invitons sans délai à vous exprimer afin de faire taire ces rumeurs. Soit ces rumeurs sont exactes. Dans ce cas, nous vous demandons de prendre conscience de la portée de votre geste et de la très grave erreur commise. »

La FSF a attiré la FFF sur le caractère injuste de son acte : «S’il y a quelqu’un qui doit clarifier sa situation ou faire amende honorable, ce n’est point Idrissa Gana Gueye mais bien Mr Patrice Anton du Conseil National d’éthique de la FFF qui, non content de chercher de la fumée là il n’y a point de feu, est pris en flagrant délit de menaces voilées et de propos discriminatoires».

Exprimant sa solidarité envers son joueur, l’instance «se réserve le droit de saisir les instances internationales compétentes dans le domaine du sport ou en matière de droits de l’homme pour que ce qui ressemble à un harcèlement institutionnalisé cesse.»

Hormis la Fédération Sénégalaise de Football, Abdou Latif Coulibaly, secrétaire général du gouvernement du Sénégal n’a pas manqué de dénoncer la FFF le 21 Mai 2022 : ‘’Les désirs et demandes du puissant lobby LGBT ne peuvent pas être des ordres pour l’humanité toute entière. ‘’ C’est une première dans les histoires franco-sénégalaises qu’autant d’officiels sénégalais pourtant réputés pour leur soumission se soulèvent comme un seul homme contre des dirigeants français.

L’écrivain Boubacar Boris Diop n’est pas aussi resté en marge. Le 17 Mai 2022, sur son compte twitter, l’homme de lettres marquait son soutien à Gana Gueye : « Solidarité totale avec Idrissa Gana Guèye. Ils sont étranges, ces gens qui se donnent tant de mal pour imposer à tous et à chacun leurs opinions. Au nom, suprême stupidité, de la liberté d’expression. Savent-ils seulement qu’ils font de plus en plus rire? ».

Cette affaire était sur le point de susciter une ébullition dans les rues de Dakar. Les populations de la Médina, commune d’où est originaire le footballeur, ont organisé plusieurs manifestations de soutien. Tout Dakar était dans l’attente de la décision de la Fédération Française de Football. Dans le cas où elle sanctionnait le joueur, les manifestations anti françaises auraient été organisées. Un de mes amis ivoiriens résidant à Dakar me disait qu’il n’avait jamais marché dans sa vie. Mais il était prêt à le faire si la FFF brandissait la moindre amende contre le milieu de terrain.

Cela montre que contrairement à ce que Macron pense, le sentiment dit anti français n’est ni alimenté par la Chine encore moins par la Russie ou la Turquie. Il découle aussi de la volonté des dirigeants français à imposer aux africains des choses contraires à leurs convictions . C’est un facteur important du désamour constaté au sein de la jeunesse africaine.

Hormis le Sénégal, la comédienne et artiste Hanny Tchelley a également afficher son soutien au jeune  Lion le jeudi 19 Mai 2022  : « Mon kiff va au footballeur Sénégalais du PSG Idrissa Gana Guèye , le soldat des valeurs africaines . »

Cela montre qu’au-delà du Sénégal, c’est presque tout un continent qui s’est senti concerné par cette affaire.

Cette épisode devrait interpeller Macron. Lorsqu’il parle du sentiment anti français en Afrique, il doit faire une véritable introspection au lieu d’accuser la Russie ou la Chine. Ces pays qui sont certes présents, n’auraient pas obtenu grande chose en Afrique si la France se montrait plus compréhensive et plus respectueuse envers les habitants de ce continent. Lorsque Sadio Mané a refusé de faire la publicité d’une société de bière pourtant sponsor de Bayern, le club allemand ne lui a pas tenu rigueur. Macron devrait donc se demander pourquoi on ne parle pas de sentiment anti allemand ou même anti britannique en Afrique . Si la France continue ainsi à vouloir  imposer son diktat aux pays africains , elle ne devrait pas être surprise de perdre définitivement son influence sur ce continent qui a pourtant été  un support important pour elle dans le passé .

Auteur :

Asante Harouna

Citoyen africain