Afrique de l’Ouest : un regard géopolitique sur la récurrence des coups d’Etats – Par Souleymane BA

Depuis 2020, la vie socio-politique de l’Afrique de l’Ouest, notamment du Mali, Guinée et du Burkina, est bouleversée par des coups d’Etat militaires. En deux ans, la sous-région a connu cinq coups de force survenus au Mali (18 août 2020, 24 mai 2021), en Guinée (05 septembre 2021) etau Burkina Faso (24 janvier et 30 septembre 2022).

I – Contexte socio-politique

Le contexte dans lequel sont survenus ces coups d’Etat, est marqué par les conséquences du covid-19 qui a nui à l’environnement socio-économique international et bouleversé l’économie mondiale, et par la guerre russo-ukrainienne ayant engendré une crise énergétique, et de facto financière et économique. D’où la cherté de la vie dont souffre les populations de tous les pays concernés, voire de tout le monde entier. Toutefois, les causes de ces coups de force sont purement politiques, surtout en Guinée. Mais elles sontégalement liées au système de sécurité des pays qui les ont subis, notamment le Burkina et la Mali.

Qui plus est, la zone ouest-africaine, surtout sa partie sahélienne souffre d’une insécurité croissante se manifestant sous plusieurs formes, telle que la montée en puissance de l’extrémisme et du radicalisme violents aboutissant au terrorisme qui frappe fortement la quasitotalité du Sahel. Aussi, s’y note-t-il la criminalité organisée (trafic illicite de drogue, d’êtres humains, d’organes d’êtres humains, blanchiment d’argent), l’émigration clandestine, la piraterie maritime, les violences et les conflits armés récurrents. Par ailleurs, les politiques sécuritaires des Etats du Sahel sont perturbées par la crise politico-diplomatique qui secoue présentement le G5-Sahel, sur fond de sentiment anti-français. Laquelle crise s’illustre par la démission du Mali de l’organisation sécuritaire sahélienne, suite à un conflit qui l’oppose à ses quatre partenaires que sont le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, mais surtout, à la France avec laquelle il est en bras de fer, alors que celle-ci est la marraine du G5-Sahel. Le sentiment anti-français entrave la coopération sécuritaire franco-sahélienne. En effet, la perception qu’ont certains africains de la France se révèle négative et n’encourage pas une coopération fructueuse. Ce sentiment augmente de plus belle, s’illustrant par les manifestations qui ont accompagné le dernier coup d’Etat survenu au Burkina Faso, le 30 septembre 2022, au cours desquelles un important nombre de jeunes burkinabè s’en sont pris à l’ambassade de la France qu’ils ont saccagée et incendiée.

II – Causes des coups d’Etat du Mali, Guinée et du Burkina Faso

Les coups de force que subit l’Afrique de l’Ouest sont occasionnés par plusieurs facteurs qui peuvent se réduire essentiellement aux récurrents problèmes liés à la gouvernance dont tout le continent africain souffre. En fait, dans la plupart des pays africains, on assiste souvent à de mauvaises relations civilo-militaires créant une atmosphère délétère dans les rapports qu’entretient l’autorité politique centrale avec l’armée. Il est important de rappeler que ces trois pays qui ont subi ces récents coups d’Etat militaires, ont connu plusieurs fois de tels mouvements de force, à travers leurs itinéraires politiques respectifs qui dégagent beaucoup de similitudes. Dès leur indépendance, ils ont été dirigés par des régimes civils. Cependant, ces pays dirigés d’abord par des civils, ont très vite connu des coups d’Etat ayant mis à leur tête des militaires qui les ont gouvernés durant plusieurs décennies, et à la même période. Ces prises de pouvoir par putschs dénotent le manque d’esprit républicain dont souffrent leurs armées respectives. Aussi, se note-t-il des rivalitéspolitiques et idéologiques sur les processus démocratiques, auxquelles s’ajoutent des obstacles sécuritaires et stratégiques renforçant la pauvreté et le sous-développement dans lesdits pays. En sus, la corruption et les détournements de deniers publics créant des frustrations au sein de l’armée et dans la société, peuvent être cités parmi les facteurs de trouble à l’ordre constitutionnel et institutionnel. Ce qui, par conséquent, conduit à des blocages dans les processus démocratiques et des programmes de développement socio-économique. Ces bouleversements politiques, couramment appelés « crises » sont souvent causés par un manque de respect des principes démocratiques appliqués à la gouvernance politique et économique. Dans certains cas de figure, comme au Mali, ces blocages des processus démocratiques perturbant les transitions politiques dans ces pays, font l’objet d’enjeux dont profitent les grandes puissances étrangères qui utilisent toutes les voies possibles, pour y renforcer leur influence géostratégique.

De nos jours, le problème fondamental des Etats pouvant conduire à des coups de force militaires, réside dans le non-respect des constitutions, la problématique de la limitation des mandats présidentiels et dans les effets des changements constitutionnels qui biaisent les processus démocratiques. Ces pratiques anti-démocratiques au premier desquels se trouvent les tripatouillages de constitutions en vue de permettre aux présidents de briguer des mandats de plus, en déphasage avec les principes et exigences constitutionnels, constituent les principaux défis démocratiques que les Etats africains doivent relever.

III – Acteurs, enjeux et manifestations

En général, les coups d’Etat se perpètrent par des militaires, à travers le monde. Cependant, dans les Etats faibles, il est de notoriété publique que la plupart de ces militaires putschistes bénéficient du soutien de certaines puissances étrangères influentes dans lesquels Etats, et d’une partie de leurpopulation et surtout lorsque celle-ci est en désaccord avec le régime en place. Les coups d’Etat survenus au Mali, le 18 août 2022, en Guinée, le 05 septembre 2021, et au Burkina Faso, le 30 septembre 2022, qui ont mis les populations dans une euphorie, en sont une parfaite illustration. Toutefois, laperception des coups de force militaires aux niveaux local, régional et mondial constitue un enjeu de taille. Car il n’est pas évident qu’il y ait au niveau local une adhésion de toutepopulation à la cause des putschistes. D’ailleurs, même ceux qui les soutiennent au départ, finissent par se retrouver dans un état de regret, à cause d’une déception causée par le comportement de certains militaires qui tiennent le pays dans une longue transition pour se permettre de rester au pouvoir le plus longtemps possible. D’autres militaires réussissent mêmeà trouver des moyens leur permettant de s’y maintenir pour empêcher la transmission du pouvoir aux civils. Dans ce cas de figure, le deuxième coup d’Etat perpétré par Assimi Goïta, le 24 mai 2021, en constitue l’exemple le plus illustratif.

Dans ces coups d’Etat, l’enjeu majeur demeure le contrôle du pouvoir et des ressources financières. C’est pourquoi, ils surviennent de façon très violente, de par le nombre de morts dont ils font état et les pertes matérielles.

Quant au soutien des grandes puissances étrangères, il peut se justifier par leur envie d’avoir accès aux matières premières et au marché des investissements. D’où, les positions souvent divergentes desdites puissances, notamment les Etats-Unis et l’UE d’un côté, et la Russie de l’autre. Dans l’environnement politique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, surtout de ceux où se sont produits ces coups d’Etat, l’implication de la France et des Etats-Unis semble être plus remarquable. Cependant, dans le contexte actuel, la Russie n’est pas restée à l’écart ; au Mali et au Burkina Faso, elle est cœur des configurations politiques et géopolitiques. Ce qui renseigne sur le retour de Moscou sur la scène internationale, particulièrement en Afrique.

La percée de la Russie dans l’environnement géopolitique africain est très visible à bien des égards. En effet, Moscou s’impose et s’affirme dans les nouvelles reconfigurations géostratégiques qui déterminent la place et l’importance de l’Afrique dans l’échiquier géopolitique mondial. Cela s’exprime par l’intervention du groupe paramilitaire russe Wagner au Mali, en Centrafrique, en Libye et au Soudan. Au surplus, se note le soutien russe au capitaine Ibrahima Traoré, désormais, nouvel homme fort du Burkina Faso, qui a mis un terme au régime de Paul-Henri Sandaogo Damiba arrivé lui-même au pouvoir par coup d’Etat contre le président Roch Marc Christian Kaboré, le 24 janvier 2022, alors que ce dernier est démocratiquement élu et réélu respectivement en 2015 et en 2020.

Miné par une insécurité totale se caractérisant par des attaques terroristes récurrentes depuis plusieurs années, et deux coups d’Etat en huit mois, le Burkina Faso attise les appétits des autres grandes puissances étrangères, notamment la Russie dont le groupe privé paramilitaire, Wagner est très actif en Afrique. En clair, le capitaine Traoré a ouvertement émis l’intention de s’ouvrir à de « nouveaux partenaires »particulièrement la Russie avec laquelle Ouagadougou collabore déjà depuis de longues années, pour la stabilisation sécuritaire de son pays. D’ailleurs, le fondateur et chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, proche collaborateur du président russe, Vladimir Poutine, s’est exprimé à deux reprises, le jour même et le lendemain du coup d’Etat, manifestant ainsi son intérêt pour le Burkina.

Alors, l’instabilité de l’Afrique de l’Ouest semble conforter la Russie qui tisse sa toile, en profitant du sentiment anti-français qui prévaut dans la zone, malgré les sanctions auxquelles ellefait face, de la part de l’Occident, à cause de la guerre dans laquelle elle s’est engagée en Ukraine, et dont elle peine toujours à s’en sortir. L’influence russe dans la zone ouest-africaine peut s’exprimer par la fin de l’opération Barkhane au Mali, censée mettre fin au terrorisme qui sévit dans ladite zone, alors que la menace terroriste y demeure toujours, avecles attaques des islamistes terroristes autoproclamés djihadistes, qui augmentent de plus belle. En effet, la fin de cette opération française au Mali, se dénote par le retrait militaire de la France de ce pays, achevé le 22 août 2022, alors que celui-ci est toujours miné par une instabilité politique profonde et un manque criard de sécurité dans la quasitotalité du territoire malien. Il sied de noter que ce retrait détermine un repositionnement stratégique de la France dont les troupes qui étaient au Mali, sont désormais campées au Niger, dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre de Barkhane.

IV – Conséquences

Les conséquences sont essentiellement centrées sur les politiques de gestion et de résolution des crises, en vue d’une issue à la situation. En outre, elles renseignent sur lesdivergences qui prévalent au sein de la CEDEAO dont les compétences sont souvent mises en jeu, en tant qu’instrument de résolution de crises politiques dans ses Etats membres dont chacun a une spécificité. En fait, la CEDEAO est un outil de dialogue et de coopération pour le développement socio-économique, politique et sécuritaire de ses Etats membres. En ce sens, elle constitue un cadre de discussion et de négociations dans des contextes de crises ou de conflits armésqui surviennent en Afrique de l’Ouest.

Les sanctions économiques, en tant que le dernier recours, que l’institution régionale ouest-africaine inflige aux pays qui ont subi des coups d’Etat ne sont pas effets sur la vie quotidienne de leurs populations, car elles sont lourdes de conséquences au plan socio-économique.

De la même manière, les conflits d’intérêts mettant aux prises les grandes puissances tiraillées entre camps opposés au sein d’un pays se trouvant bouleversé par un coup d’Etat ont des conséquences sur la mise en œuvre des politiques nationales de développement s’articulant à travers des processus que lesdits conflits bloquent. Le blocage de ces processus de mise en œuvre de politiques et programmes de développementlaissent toujours les pays ayant subi les coups de force dans unstatu quo, s’exprimant par les mêmes comportements politiques qu’adoptent les dirigeants, l’insécurité, la mauvaise gouvernance, la pauvreté et le sous-développement et surtout par la criminalité organisée.

Si au Mali et en Guinée, on a assisté à des poursuites ouarrestations arbitraires de leaders d’anciens régimes déchus, etd’opposants refusant les coups de force, au Burkina Faso,c’est une perspectives de diversification ou de changements de partenaires de coopération économique et sécuritaire qui est annoncée par le capitaine Traoré. Ce qui peut créer des frustrations à l’endroit des puissances occidentales, tels que les Etats-Unis et la France.

En définitive, les coups d’Etat militaires ne sont pas des solutions à la situation politique et socio-économique des Etats de l’Afrique en général, et de ceux ouest-africains en particulier, dès lors que ces coups de force engendrent des reculs démocratiques. D’ailleurs, des indépendances à nos jours, la région a connu de nombreux coups d’Etat ayant occasionné des régimes militaires qui se chargent de la gouvernance des pays qui les ont subis, mais sans succès.

Par

Souleymane BA, spécialiste de la Méditerranée et du Moyen-Orient

Expert-consultant en relations internationales et stratégiques et en analyse géopolitique et diplomatique

Associé au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Dakar

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