Grand entretien avec S.E Safwat Ibraghith, ambassadeur de la Palestine au Sénégal

L’ambassadeur de la Palestine au Sénégal a accordé un entretien à la rédaction de Seneinfo. Son Excellence Safwat Ibraghith est largement revenu sur la situation en Palestine où Israël largue des bombes depuis plus d’une semaine, faisant plus de 200 morts à Gaza, après l’attaque par les policiers israéliens de Palestiniens et de la mosquée Al-Aqsaa au dernier vendredi du Ramadan, faisant beaucoup de blessés, suivie de la riposte de la branche armée du Hamas qui a tiré des roquettes sur Tel-Aviv. Le diplomate a cependant insisté sur certains mots ou expressions « inadéquates » utilisés par des médias et par des autorités, pour qualifier ce qui se passe entre la Palestine et l’Israel, qu’il considère comme une situation entre un oppresseur et des opprimés. Par le droit international, il a démontré comment les Palestiniens ont droit à un Etat, et comment ils doivent jouir pleinement de leurs droits inaliénables. Monsieur l’ambassadeur a parlé de l’engagement du Sénégal aux côtés de la Palestine, tout en faisant des observations sur des mots et formulations de la part de l’Etat, qui ne sont peut-être pas à la hauteur de l’attente de la Palestine.

Entretien…

Quel sentiment ressentez-vous avec ce qui se passe en Palestine ?

Ils peuvent détruire, ils peuvent taper fort, ils peuvent tuer, mais est-ce qu’ils peuvent faire taire la voix de la justice ? Est-ce qu’ils peuvent réprimer la conscience humaine ? Est-ce qu’ils peuvent nous prendre en otage en tant que victimes et nous empêcher de dire la vérité par tous les moyens ? C’est ça le grand défi. Qui que ce soit se trompe de croire qu’on peut cacher le soleil avec une petite main ou avec un petit passoire ; le soleil c’est la vérité qui prend le dessus sur tout. La vérité aujourd’hui c’est que Israël agresse la Palestine, Israël la bombarde lâchement avec une armée considérée comme la plus puissante de la région. Ils utilisent leurs armes les plus sophistiquées contre des bâtiments, contre des écoles et des commerces, contre des baladeurs sur la plage ou contre des pêcheurs dans leurs petits bateaux. C’est ça la guerre que veut Israël ? C’est ça le courage qu’on doit montrer au monde ? C’est cette force qui va leur faire remporter la victoire ? Israël est entré dans une bataille déjà perdue à l’avance. Éthiquement, ils n’ont aucune justification que l’agression et la volonté d’éradiquer tout un peuple autochtone de sa terre et de ses Lieux Saints. Ils peuvent faire encore des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité mais jusqu’à quand ? Et ils ne seront pas gagnants. On sait tous que tôt ou tard, les Israéliens seront poursuivis devant les instances juridiques et juridictionnelles pour des crimes de guerres et crimes contre l’humanité, pour des crimes de colonisation et crimes de transfert de populations et des crimes d’apartheid et de persécution.

Avec le black out médiatique provoqué par le bombardement de Al-Jazeera et l’agence américaine AP, seuls organes indépendants sur les lieux. Avez-vous un bilan officiel des morts et dégâts causés par l’armée israélienne ?

Heureusement avec un réseau alternatif de médias officiels, les réseaux sociaux très bien exploités aujourd’hui par des témoins, des hommes de terrains, l’info passe très vite et circule sans maquillage et sans censure. Donc on a accès facilement aux informations. Les Palestiniens écrivent tous, témoignent tous de ce malheur qu’ils subissent. Et il y a en Palestine, pour ton information, une forte concentration des médias. Je ne crois pas qu’il y a un pays sur cette planète, qui abrite autant de médias ; que ce soient des télévisions nationales ou internationales, des radios, de la presse écrite… Il y a également des observateurs internationaux, ceux qui s’activent dans les agences onusiennes ou ceux qui s’activent dans les ONG de toutes sortes, les observateurs des droits de l’Homme, les envoyés spéciaux, les consuls, ils sont tous là pour rapporter la vérité et la vérité triomphera.

Comment est ce que vous comprenez la réaction timide et effacée d’un pays comme l’Arabie Saoudite avec tout le symbole qu’il représente pour la Oummah islamique ?

L’Arabie Saoudite et tous les pays arabes, et tous les pays musulmans, et tous les pays de la planète n’ont pas encore réagi à la hauteur de nos attentes. C’est ça la vérité. On a l’impression que les Etats sont devenus des esclaves à part entière de leurs intérêts. On a l’impression que la question palestinienne est devenue accessoire pour certains pays frère et pourtant, tout le monde sait que les Palestiniens défendent les Lieux Saints de l’islam au nom de la Oummah toute entière ; et que ce qui se passe en Palestine ça touche l’humanité, ça touche à la conscience, ça touche à la dignité humaine. Ce qui se passe en Palestine c’est comme une femme violée en plein jour. Pendant qu’elle essaie de résister par ses bras nus et en criant, le monde qui est les cameramen et les observateurs sur place, au lieu de la sauver, lui demande de se taire pour que sa voix ne réveille pas les voisins, prétextant éviter un scandale. Alors que le vrai scandale c’est ce silence-radio, c’est le renvoi des Palestiniens et des Israéliens dos-à-dos, mettre les agresseurs et les agressés ensemble et dire devant un public, par un acte lâche, par un acte complice, il faut arrêter les violences, comme quoi les Palestiniens sont responsable de cette violence. Tout le monde sait que la violence mère, le cycle infernal de toute violence, c’est le maintien de cette occupation en place.

Avec l’avènement de Joe Biden, un démocrate à la Maison Blanche, nous espérions un dégel du conflit et un règlement à l’amiable mais aujourd’hui est-ce que ce n’est pas la politique de la continuité qu’adoptent les États-Unis  ?

On n’a jamais accroché d’espoir sur Joe Biben comme on a jamais accroché d’espoir sur Donald Trump. Pour nous, les Américains, républicains ou démocrates, sont complices et sont alliés à Israël. Cela fait partie d’un pilier principal de la politique extérieure américaine. Depuis 1967, les Américains ont adopté Israël comme un poste d’avant-garde pour leurs intérêts dans cette région. Ils défendent Israël par tous les moins parce que cela fait partie de leur politique. Ce qui change un peu sur la forme, ne touche pas encore le fond. Les Américains essaient de nous vendre de la parole un peu de temps à autres en jouant un peu sur la notoriété, en faisant semblant qu’ils veulent trouver une solution ; mais une fois qu’on renonce à tout combat, à toute escalade et qu’on va vers une négociation, on voit que les Américains sont finalement en train de négocier avec nous et de nous convaincre de la version israélienne. Et avant de trouver des solutions avec Tel-Aviv, on est obligé de négocier avec Washington et ce dernier négocie au nom de Tel Aviv et pour le compte de Tel-Aviv. Et malheureusement aujourd’hui, après plus de 27 ans de négociation, on fait ce constat que les Américains ne peuvent pas être les seuls parrains, en tous cas ils ne sont pas les parrains fiables de ce processus politique. Il est temps que les autres pays surtout les pays émergents et grandes puissances qui ont aussi leur mot à dire et qui ont aussi leurs intérêts dans cette région, comme la Fédération de la Russie, la Chine, l’Afrique du Sud, des pays de l’Amérique latine et d’autres pays des cinq continents du monde ; on a envie que tous soient là pour assurer l’application du droit et comme ça on va se débarrasser de cette occupation, de cette colonisation en toute neutralité.

Connu pour son engagement dans la cause palestinienne depuis Léopold Sedar Senghor ou encore la position des différents foyers religieux, le Sénégal tient-il toujours sa place de défenseur de la Palestine ?

 Ça peut changer sous la forme, ça peut changer sur la formulation de certains communiqués, de certaines déclarations. On sait que le Sénégal en tant que pays et ami, au niveau étatique et populaire, se range du côté palestinien, se range derrière le droit palestinien. Peut-être qu’on pourrait soulever quelques différences, quelques petites observations sur des mots qui ne sont pas bien placés, qui ne sont peut-être pas à la hauteur de nos attentes. Comme par exemple l’un des communiqués du ministère des Affaires étrangères qui, à mon avis, n’a pas opté pour un langage reflétant l’engagement réel des Sénégalais ? C’est une formulation un peu trop neutre et d’une façon un peu passive. C’est ce que je disais tout à l’heure: le plus pénible, ce qui me fait le plus du mal, c’est quand on renvoie les Palestiniens et les Israéliens dos-à-dos ; quand on met les agresseurs et les agressés dans le même panier ; quand on confond et mélange les opprimés et les oppresseurs. Ça c’est quelque chose qui est injuste et inhumain. Mais on sait que les Sénégalais portent la Palestine dans leur cœur. On salue ce mouvement massif de solidarité que nous avons reçu ces derniers temps en termes de visites, de communiqués, de déclarations, de messages écrits et audio, venant des quatre coins du Sénégal, en passant par toutes les villes spirituelles, toutes les familles religieuses qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes, ils ont tous exprimé d’une voix unique, d’une voix forte, d’une voix claire, le véritable engagement des Sénégalais, la véritable sensibilité des Sénégalais en soutien de la question palestinienne.

L’apparition du président de la République était aussi en quelque sorte positive, on peut en tirer des leçons. Il a parlé de la nécessité de rétablir le droit, l’application du droit international. Par exemple quand il a dit: “Nous prions pour la paix. Tout le monde sait que les Palestiniens sont les premières victimes de cette absence de paix parce que c’est eux qui paient tragiquement le grand bilan des pertes”. Nous sommes d’accord avec lui quand il lance un appel à la désescalade pour que la paix revienne, ça paraît sous la forme correcte. On veut qu’Israël arrête parce que les escalades militaires, les agressions, y a que l’armée d’occupation israélienne qui est responsable. Donc on est d’accord que c’est Israël qui doit cesser toute agression et le feu qu’il lance sur les Palestiniens autochtones. Nous sommes pour ce qu’il a dit, “qu’une discussion saine et sérieuse puisse être engagée entre les deux communautés”. Mais nous ne sommes pas des communautés, nous sommes des peuples. En tous cas dans le respect du droit international, c’est ça le mot-clé, c’est ça qui peut déboucher sur une solution ; c’est quand on remet vraiment une référence de solution. C’est quoi la référence de solution ? C’est quoi les paramètres ? Les paramètres sont connus et reconnus dans le droit international.

La solution existe mais c’est Israël qui manque de volonté et qui manque d’envie d’appliquer le droit international. Et c’est pour ça, nous sommes pour le droit international ; c’est la seule référence aujourd’hui à mettre fin à cette occupation et à démanteler les colonies, faire appliquer les droits inaliénables du peuple palestinien dans un Etat indépendant, souverain avec Al-Quds comme capitale. Quand le président Macky Sall dit: “Il est de notre devoir de faire cet appel en tant président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien”, ça c’est juste parce que le Sénégal n’est pas comme les autres pays effectivement, il a cette particularité. C’est pour cela qu’on attend du Sénégal une position toujours distinguée et plus engagée à hauteur de ce qu’il représente pour la Palestine. Quand il dit: “Les heurts se déroulent particulièrement dans la mosquée d’Al-Aqsa, située à Jérusalem. Cette édifice est l’un des plus importants lieux saints de l’islam”, il a tout à fait raison parce que c’est eux qui sont en train d’agresser le terrestre et le céleste, sans aucune sensibilité au lieu sacré de l’islam et des musulmans. En tous cas, le mot-clé pour régler cette situation, nous avons un accord avec le président Macky Sall, c’est la formule de respect du droit international. Lequel respect commence par l’application des droits inaliénables du peuple palestinien. On a tous les paramètres de solution dans le mot droit international. Pour aller plus loin, les Palestiniens ont le droit se défendre en tant que peuple d’occupation, c’est aussi par le droit international. Ce n’est pas un terrorisme ou une agression quand les Palestiniens agressés se défendent, ou quand les opprimés se révoltent, ou quand les Palestiniens se soulèvent contre l’armée d’occupation israélienne, son gouvernement et ses colonies. Toujours dans le droit international, le droit du peuple palestinien d’avoir un Etat, qui a trop tardé, parce que l’Etat de Palestine, n’est pas un Etat qui est un surplus à la liste des pays du monde, c’est plutôt un pays qui manque à cette liste, qui devait voir le jour depuis 1948 ; donc nous sommes en retard par rapport à cette échéance.

Quand on dit le droit de retour des réfugiés palestiniens qui étaient expulsés par la terreur israélienne, ça fait aussi partie du droit international. Leur retour doit être assuré et garanti. Quand on dit Jérusalem, surtout dans sa partie orientale, fait partie du terroir palestinien occupé depuis 1967, là on a des résolutions onusiennes qui doivent s’appliquer y compris la résolution 242 du Conseil de sécurité. Quand on parle de démantèlement et d’arrêt immédiat des colonies israéliennes en terre palestinienne, on a une référence intouchable qui est la résolution 23-34 du Conseil de sécurité, adoptée par 15 pays à l’unanimité. Où sont ces organes qui doivent garantir l’application de toutes ces résolutions, de tous ces droits ? Le Sénégal en fait partie et on a besoin maintenant du Sénégal, on a besoin de tous les pays qui veillent à ce que le droit international soit respecté et soit applicable, d’activer les séries de sanctions contre cet Etat voyou, cet Etat qui agit en toute impunité et au-dessus du droit international, comme un cow-boy américain. Donc nous sommes d’accord sur le fond avec ce message du devoir respecter du droit international. On voudrait que ça soit plus clair et plus détaillé et applicable. 

Par Coumba Ndoffène Diouf